par Sophie MAXENCE
Protection animale en danger : des associations contraintes à la fermeture
Face à des défis financiers et humains croissants, des petites associations de protection animale se voient contraintes de cesser leurs activités. Entre manque de moyens et augmentation des abandons, elles tirent la sonnette d'alarme pour une meilleure gestion de la protection animale.
Après 13 années d'aventures félines, Patricia Bonutto a pris la difficile décision de dissoudre son association Féline des Corbières située dans l'Aude (11). « Il faut se rendre à l'évidence et accepter la réalité (…) je ne suis pas Don Quichotte (…) je n'ai plus la force, ni le courage de me battre contre des moulins à vent », regrette Patricia Bonutto dans un courrier adressé aux communes avec lesquelles son association a travaillé. La Féline des Corbières n'est pas un cas isolé. Des défis croissants, notamment financiers et humains, mettent en péril l'existence de nombreuses petites associations de protection animale qui avaient pourtant résisté jusque-là.
Sans cesser de trouver des fonds, mener un travail de terrain chronophage et souvent moralement éprouvant, sont le lot des bénévoles depuis de nombreuses années. Mais le contexte actuel rend la tâche encore plus difficile. Les associations interrogées pointent ainsi du doigt une recrudescence des animaux abandonnés dans un contexte d'inflation. Sans aide financière ou avec une participation limitée des communes pour les frais de stérilisation, une baisse des adoptions et une augmentation constante des prises en charge, le système de sauvetage se grippe.
Des frais vétérinaires qui pèsent trop lourds dans la balance
L'association Felis Cité, fondée à Sevran (93) en 2017 par Véronique Loeffler, a dû fermer ses portes fin 2023. Malgré des subventions modestes de la mairie et des aides de la SPA et de la Fondation Brigitte Bardot, les fonds sont restés insuffisants. « Si on n'avait pas eu tant d'animaux à prendre en charge, ça aurait pu le faire », regrette Véronique. « Notre responsabilité en tant qu'association, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de reproduction, que les animaux soient nourris et suivis par des vétérinaires, mais au bout d'un moment, on ne peut plus . On n'a pas un budget illimité ». Les frais vétérinaires, en constante augmentation, ont lourdement pesé dans la balance, rendant l'équilibre financier impossible. « La situation s'est aggravée post-Covid, à partir de 2022. Nous avons essayé de trouver des fonds par tous les moyens, mais ça ne marchait pas. À l'été 2023, je me suis bien rendue compte qu'il n'y avait pas d'adoptions depuis des mois. Il a fallu se rendre à l’évidence. On ne pouvait pas continuer comme ça. »
Patricia Bonutto de l'association Féline des Corbières, s'est également retrouvée dans l'impasse financière. « Nous amenions nos chats chez deux vétérinaires. L'un nous faisait des tarifs intéressants, mais il a pris sa retraite. L'autre clinique, rachetée par un groupe, est devenue plus chère et ne prend plus toutes les associations. » L'augmentation générale des prix, notamment pour l'alimentation et la litière, a achevé de grever les budgets. « Financièrement, c'est lourd. Je ne travaille plus, donc je n'ai plus le salaire que j'avais à l'époque », explique-t-elle, illustrant la situation de nombreux responsables d'associations qui n'hésitent pas à puiser dans leurs deniers personnels pour soigner les animaux.
Un amer constat d’impuissance
Le manque de moyens humain a également précipité la cessation des activités. « Plusieurs personnes au sein de l'association, peut-être par démotivation, avaient décidé d'arrêter », relate Véronique Loeffler de l'association Felis Cité. L'histoire se répète dans l'Aude, du côté de l'association Féline des Corbières : « Au début, les bénévoles sont tout feu tout flamme, mais petit à petit, ça s'amenuise », regrette Patricia Bonutto, qui s'est retrouvée seule pour gérer quatre communes. « Administratif, trappage, socialisation des chatons, allers-retours chez le vétérinaire plusieurs fois par semaine… je me suis retrouvée à tout faire, c'était trop lourd. »
Une fois les associations fermées, que deviennent les animaux dont elles s'occupaient ? Patricia Bonutto a décidé de recueillir à son nom les 19 chats de l'association. Félis Cité a réussi à trouver une autre association, La Maison des Animaux près de Provins (77), pour accueillir les 10 chats restants en familles d'accueil. Mais une grande inquiétude subsiste pour les chats du quartier de Sevran où Félis Cité œuvrait. « On continue le nourrissage mais nous savons déjà que quatre femelles ont mis bas. Que va-t-il se passer dans trois mois si ces chats et leurs petits ne sont pas pris en charge ? » s'alarme Véronique Loeffler.
« Si une association pouvait s'engager pour trapper et stériliser ces chats, ce serait formidable. Moi, je veux bien aider en faisant des dons, mais je ne peux pas faire plus. Je n'existe plus aux yeux de la sous-préfecture. »
Après tant d'investissement et d'efforts consentis pour combattre la problématique de la prolifération féline, le constat d'impuissance est rude. « Je me dis que j'ai sorti énormément de chats de la rue avec mon association et je suis fière de moi pour ça, raconte Véronique Loeffler, mais quand je vois la misère qui menace notre quartier, la même que celle que j'ai connue avant de créer l'association, ça me rend triste. » Patricia Bonutto partage le même sentiment « parce qu'il n'y a personne pour prendre la relève sur les communes avec lesquelles l'association a travaillé. Cela me donne l'impression que les 13 ans de galères pour sauver des chats et promouvoir la stérilisation ont été du vent. Certes j'ai sauvé beaucoup d'animaux, mais c'est une goutte d'eau dans l’océan. »
La nécessité d'une meilleure gestion de la protection animale
Le manque de moyens n'est qu'une partie du problème dans la partie serrée que jouent les associations contre la misère féline. « Il faudrait que les mairies mettent plus de budget pour aider les associations à stériliser les chats errants, mais il faut surtout que les particuliers fassent stériliser leur animal », plaide Véronique Loeffler. Patricia Bonutto souhaite que chaque propriétaire d'animal ait une formation obligatoire « d'éducation à la fonction de maître ». « Il faut que les décideurs comprennent que les associations mènent un travail de terrain important qui doit être mieux pris en compte par des lois efficaces et des mesures adéquates », poursuit-elle. La récente feuille de route présentée par le gouvernement visant à lutter contre les abandons, l'errance et la maltraitance laisse entrevoir des possibilités d'amélioration, mais face à l'ampleur des difficultés rencontrées, des mesures d'envergure s’imposent.