par Sophie MAXENCE
« Instant de vie bénévole » : un engagement à toute épreuve
Les responsables d’associations sont en première ligne pour relever les défis, croissants, de la cause animale. Ces vies à 100 à l’heure oscillent entre découragement et bonheur, avec la passion comme moteur. Témoignages.
Au cœur de l’hiver un soir de janvier, Lisa, fondatrice de l’Odyssée d’Argos basée en région Occitanie, poste un texte sur Facebook qu’elle intitule « Petit instant de vie bénévole ». Après une semaine de grippe et une succession de mauvaises nouvelles au sein de son association, Lisa se sent épuisée, physiquement et moralement. Mais un coup de fil lui redonne toutes ses forces : elle reçoit des nouvelles d’un chien adopté un an auparavant, « aimé et choyé de la meilleure façon qui soit ». « Et là je me suis dit : Voilà. C’est pour ça que je suis bénévole » écrit Lisa, qui ajoute : « aujourd’hui j’ai vécu un moment important et j’avais envie de vous le partager. Parce que c’est une réalité de l’association aussi. » Ces quelques mots rappellent que derrière tous les animaux qui attendent une famille, se trouvent des vies humaines dévouées. En première ligne pour affronter la détresse animale, mais aussi humaine, les bénévoles doivent composer avec de nombreuses difficultés en dépit de leur engagement et de leur passion.
Des moyens humains insuffisants pour faire face à une demande croissante
L'une des principales difficultés rencontrées est le manque de moyens, financiers certes, mais aussi humain. La pénurie de bénévoles à laquelle sont confrontées de nombreuses associations, rend la gestion quotidienne des animaux encore plus ardue. À l’Association l’Hirondelle, centre de soin de la faune sauvage situé entre les départements du Rhône (69) et de la Drôme (26), la charge de travail est lourde, en particulier durant les mois de juin et juillet : « Lors de la grosse saison on peut recevoir entre 100 et 200 appels par jour, et voir arriver parfois plus de 1000 animaux » détaille Anne Fourier, chargée de développement à l'Hirondelle. « Il faut qu’on trouve de l’argent pour faire des recrutements de soigneurs, mais nous avons aussi de plus en plus de difficultés pour trouver des gens investis et compétents. » La charge pèse donc lourdement sur les équipes en place. « C’est dense, c’est de la détresse animale tous les jours…c’est un quotidien très compliqué. Quand j’entends mes collègues être au bout du bout, je les comprends. On est toujours un peu sur la brèche et c’est épuisant » confie Anne Fourier.
Dans le cas des petites associations de protection animale, le manque de bénévoles freine le développement et crée de la frustration comme le détaille Lisa, fondatrice de l’Odyssée d’Argos : « la racine des associations ce sont les humains qu’il y a derrière. Mais aujourd’hui, ça manque. Nous avons beaucoup de mal à trouver des bénévoles engagés et efficaces. Je me retrouve souvent à tout faire, or il y a énormément d’aspects dans la vie associative. En soi ce ne serait pas si lourd si on avait plus de monde. On pourrait aussi aider plus de chiens et de gens. Mais on sent qu’il y a une fragilité globale chez les gens en ce moment, ils ont tendance à se replier sur eux et n’imaginent même pas s’investir dans une association. »
Isolement et sacerdoce
En plus d’augmenter la charge de travail, le manque de bénévoles a également tendance à isoler les responsables d’associations. « Pour créer et gérer une association, il faut compter beaucoup sur soi, souligne ainsi Pascale Appert, présidente de L’Atelier des Patounes en Seine-Maritime (76), qui regrette un manque de « culture du bénévolat » pour accomplir des tâches comme les collectes alimentaires, y compris lors de samedis ensoleillés, tout en tenant à rendre hommage à ses familles d’accueil qui accomplissent « un travail formidable ». Pascale Appert rappelle qu’« une association est une chaine de solidarité, de la présidente à l’adoptant. Il manque un maillon et c’est terminé. » Mais souvent, les présidentes de petites structures portent leur association à bout de bras. « C’est un sacerdoce. Il y a de la famille qui subit, il n’y a plus de vacances… tout va pour les chats. Mes enfants ont quitté le nid et mon mari me soutient, ça m’aide énormément. Mais le plus dur est de dire non. Parfois je me suis mise dans des situations difficiles parce que j’ai effectué trop de prises en charge. Mais on y est toujours arrivé ! » positive Pascale Appert.
En plus de la détresse animale à laquelle ils sont régulièrement confrontés, les bénévoles sont en première ligne pour affronter la misère humaine. « Il y a des jours où c’est plus compliqué que d’autres, confie Lisa de l’Odyssée d’Argos. On a parfois des situations émotionnellement lourdes et tristes, lorsque par exemple des gens se retrouvent dans de grosses galères financières, et sans solution pour garder leur animal alors qu’ils ne veulent pas s’en séparer. L’enjeu de notre mission en tant qu’association est aussi sociétal. Ce n’est pas juste : « on aide les animaux parce qu’on aime les animaux. »
De cet investissement à toute épreuve découle de la fatigue, morale et physique. « Il faut être solide pour faire ça » reconnaît Natacha, fondatrice du Refuge des Grands Ajoncs dans les Deux-Sèvres (79). « Je travaille pour les chats du matin au soir, 7 jours sur 7. En fin d’année je suis sur les rotules. On a 60 chats, il ne faut pas en rater un. C’est une grosse charge mentale et la gestion administrative est lourde » détaille Natacha, qui souligne par ailleurs avoir de la chance de pouvoir se consacrer entièrement à son association contrairement à beaucoup d’autres responsables qui cumulent une vie professionnelle et associative. Par ailleurs elle s’octroie des vacances de 5 jours en décembre, en confiant son association à des bénévoles. Une pause « indispensable » pour recharger les batteries.
La passion comme moteur
Malgré les difficultés, toutes les autres personnes interrogées souhaitent poursuivre l’activité de leur association, mues par une grande passion pour les animaux. Lisa, responsable de l’Odyssée d’Argos, exprimait ses motivations dans son message publié en janvier : « Certains de mes proches ne comprennent pas. Après tout, ça ne rapporte rien d’être bénévole. Pourquoi y passer autant de temps et d’énergie ? Certains me voient galérer à gérer mon emploi du temps ou simplement à prendre un moment pour moi parfois et me disent que je devrais arrêter. Un jour peut-être. Mais clairement, pas maintenant, parce que j’y trouve quelque chose. C’est pour moi une richesse de fou ! Je rencontre des gens, je rencontre des chiens. J’échange. Je progresse humainement sur plein de points. Je gagne en compétences sur plein de choses aussi. Et puis, tout simplement, j’adore rendre des chiens et des gens heureux. C’est mon shoot de dopamine à moi. Je prends ma part de bonheur au passage. »
Lisa rappelle également que les bénévoles des associations de protection animale accomplissent un ensemble de missions vitales pour les animaux en détresse et déterminante d’un point de vue social pour de nombreux propriétaires en grande fragilité. « Je sais qu’en ce moment c’est dur pour toutes les associations. Personne n’est épargné. Je sais que vous êtes fatigués. Démotivés sûrement. Que vous avez l’impression de pédaler dans le vide et que rien ne bouge assez vite. Mais vous faites votre part. Chacun fait ce qu’il peut et ce petit peu c’est déjà énorme et ça change des vies. Alors même si ce n’est pas autant que vous le voudriez, raccrochez-vous à ça. Sans vous, sans nous, il y aurait beaucoup, beaucoup plus d’animaux en galère qui resteraient en galère. »